Il était une fois le milieu du vingtième siècle, ère floue et bâtarde entre marché noir et Marché commun, Stalag et Goulag, collabos et gauchos, zazous et loulous, Gutenberg et McLuhan, jadis et naguère.

C’était une époque ridiculement simpliste où il n’y avait rien de bon dans le mal, rien de mauvais dans le bien ;

où ferveur et droiture étaient plus cotées que dérision et roublardise ;

où les prêtres croyaient davantage en Dieu qu’en l’Homme ;

où les premiers sectateurs du mondialisme se cachaient pour célébrer leur culte ;

où l’Europe concevait des idées, à défaut de règlements ;

où l’Hexagone s’appelait surtout France, voire nation ou encore patrie (sic) ;

où il y avait moins de fonctionnaires que de paysans ;

où un champ de blé briard attendait la plus-value festive de Disneyland-Paris ;

où l’éducation était abandonnée aux parents, les enseignants se bornant à instruire ;

où il restait à inventer une culture d’État chargée de couvrir de son pieux et coûteux manteau un illettrisme alors tenu en respect, mais promis à l’avenir que l’on sait ;

où la réflexion dominant la sensation, un écrit et un parler signifiants primaient l’image, qui n’était pas encore virtuelle ;

où la grand-messe cathodique du 20 heures ne venait pas éclairer quotidiennement les consciences du village planétaire ;

où, faute de tolérance et de créativité, les journalistes et autres faiseurs d’opinion appelaient un chat un chat ;

où, par conséquent, les non-voyants n’étaient que des aveugles, les personnes du quatrième âge des vieillards, les ressources humaines du personnel, les techniciennes de surface des femmes de ménage, les SDF des sans-abri, les conseillers en éducation des surveillants généraux, les élèves en situation d’échec des cancres, les profs battus des maîtres, les gays des invertis, les consommateurs de drogues des toxicomanes, les banlieues sensibles des faubourgs mal famés, les jeunes ou sauvageons d’irrécupérables voyous, leurs incivilités des infractions, délits et crimes divers, les présumés innocents des présumés coupables, les personnes mises en examen des inculpés et la langue de bois du bourrage de crâne.

Bref, c’était une époque furieusement ringarde, résolument petit-bourgeois, désespérément réactionnaire et (tare suprême) politiquement incorrecte.

C’est d’ailleurs à cette époque révolue qu’a grandi l’auteur de ces lignes.

 

Il était une fois où chacun avait droit à l’enfance.

Il était une fois où souvenir et fidélité aux racines n’étaient pas synonymes de passéisme frileux.

Il était une fois le début des années cinquante.

Il était une fois les grandes vacances.

 

J’écris pour célébrer la langue de ce temps, arracher à l’oubli des moments et des êtres, reconstituer des lieux dans leur précarité.

J’écris à l’intention de ceux qui, comme moi, ont un morceau de France bien chevillé au cœur.

J’écris parce qu’il faut débrider la mémoire.

 

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