Je fais la sieste.

En clair, on m’a obligé, comme tous les jours, à me coucher alors que le soleil est au plus haut et que l’Aventure appelle ! Les Grandes Personnes sont formidables. Sous prétexte qu’elles ont leur coup de barre d’après déjeuner, il faut que les enfants aillent au lit pour feindre de dormir ! Bon, d’accord, il fait chaud, mais quand même… Et naturellement, pas moyen de fermer l’œil ! Ce n’est pourtant guère faute de m’être appliqué… Dans LA grande chambre, qu’imprègne une belle lumière jaune débitée en tranches par les persiennes, j’ai serré bien fort les yeux en appelant le sommeil. J’ai lancé des incantations à ce païen de Morphée. Je l’ai même injurié. J’ai comptabilisé soigneusement les mouches qui passaient dans chaque rai de lumière du plafond. J’ai vraiment tout essayé : peine perdue. Il a pas sommeil, le Faon ! Et il ne risque plus de s’endormir, car il entend soudain la traction qui arrive par la rue de Verjux en faisant crisser gaiement ses pneus, avant de s’arrêter dans une ultime protestation gravillonneuse. Coup de klaxon. Presque aussitôt, une rumeur sourd d’un peu partout et se déverse dans la cour. J’entends s’ouvrir d’abord la porte du corps central, puis celle du passage vitré, enfin celle de la cuisine Girault.

 

 

« Ah, les voilà ! » s’écrie ma mère.


 

« Alors, comment est-il, ce petit bout d’affaire ? » s’enquiert ma grand-mère.


 

« À cette saison, faire voyager un bébé en pleine journée ! » s’indigne ma tante.


 

Allons bon ! J’avais oublié cette lettre de Janine, notre sœur aînée, annonçant qu’elle arrivait aujourd’hui en train avec son premier enfant, Alain, né en février (« Tu verras, ce sera un vrai petit frère pour toi ! Et il faudra être très gentil avec lui ! »).


Mon opportunisme flairant là une occasion en or d’abréger cette sieste inepte, je rejette l’édredon et me retrouve presque dans le même mouvement debout à côté du lit, enfilant mes sandales à la diable, bondissant vers la porte d’entrée, l’arrachant à son chambranle avec une lenteur exaspérante et sautant à pieds joints sur la terrasse.

 

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De la grille d’entrée me parviennent des bribes de phrases en éclats de voix :

 

 

« … une telle chaleur dans ce wagon !… »

« … pauvre amour ! Comme il transpire !… »

« … mais a-t-il donc grandi depuis Pâques ! »

« … en pleine journée ! Quelle idée !… »


Je m’approche. En dehors de Papa, qui s’éloigne vers la maison en m’adressant un clin d’œil, personne ne prête attention à moi. J’en profite pour me faufiler et scruter de près l’objet de ce remue-ménage : un gros bébé écarlate dans un moïse posé à terre. Il s’agrippe les pieds comme un forcené, espérant sans doute ôter ses chaussons lacés en tricot bleu ciel. Je le regarde fixement. Ça, un petit frère ? Laissez-moi rigoler ! Quelle faiblesse ! Quelle dépendance !… Et quel succès auprès de ces dames !… Qui continuent à ne pas s’écouter jacasser toutes ensemble :

« Non mais, qu’il est beau ! »

« Un vrai petit ange… et tout le portrait de son père ! »

« Comme cette brassière à manches courtes lui va bien !… »

« Oui, j’ai pris le temps de la tricoter avant mes examens. »

« Regardez-le pédaler avec ses petites jan-jambes ! »

 

 

« François », me demande-t-on distraitement, « tu as vu comme ton petit neveu a grandi ? »

 

 

Je lève la tête vers ces huit Grandes Personnes de variété femelle (car mes deux autres sœurs et nos deux cousines par alliance sont venues agrandir le cercle). Leurs tendres regards m’ignorent, rivés qu’ils sont sur le contenu gigotant du moïse… La Saône pourrait retourner à sa source ou le Doubs inonder la propriété, je crois bien que rien ne les distrairait de ce spectacle prodigieux : un petit tas de chairs roses couvert de lainages qui bavote avec entrain…


 

Écœuré par tant d’inconstance (on a cessé de m’aimer !) et de mauvais goût (d’abord, il est moche !), je sors de ce cercle d’autant plus étouffant que je n’en suis pas le centre. Vu de l’extérieur, c’est presque pire, tous ces dos courbés en une adoration primitive… Découragé, je regarde vers la maison. Papa est rentré pour piquer enfin son roupillon ; Bon-Papa ronfle certainement dans sa chambre et Tonton Jo dans la sienne.


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Il me reste les Grands Espaces. Eux, au moins, ils ne m’ont jamais trahi. Je fonce vers LA chambre. Vite, mon arc, mes flèches, mes plumes, mon tomahawk, n’importe quoi pourvu que ça m’emmène AILLEURS ! Je ressors côté cour et croise le gynécée qui, aveugle à tout le reste, accompagne la porteuse du moïse en formation compacte et bruyante… Du moins ont-elles totalement oublié la Loi de la Sieste, qui va donc faire place à celle de l’Ouest. Je jette un dernier regard au tableau affligeant que forment ces huit squaws entourant leur papoose… Et dire qu’en plus, nos trois vieux sages dorment béatement !… Ah, elle serait dans de beaux draps, la tribu cherokee, si Écureuil Agile n’était pas là pour veiller au grain et assurer à chacun sa ration de pemmican ! Et par-dessus le marché, il doit partir sur le Sentier de la Guerre, Écureuil Agile !… Je sors de ma poche un bouchon et une petite boîte d’allumettes et je noircis un côté du bouchon. Puis, je me peins au jugé des chevrons sur la figure. Le sort en est jeté. J’entame ma progression, affichant un air résolu, adoptant une posture et une démarche très étudiées.

Entre les peupliers, je prends soin de bien regarder en l’air : pas d’ennemis en embuscade, mais on ne se méfie jamais assez de ces faux-jetons de Pawnees. Comme je passe, l’arc en bataille, devant le clapier-poulailler, je décide d’y pousser une incursion, car il me faut faire des provisions de bouche en vue de l’expédition punitive, dont je ne peux prévoir la durée. J’entre brusquement et tire. Ma première flèche va mourir dans un coin après avoir manqué de beaucoup une poule blanche et feu, qui s’enfuit en caquetant comme une folle (le-dindon-des-Rocheuses-est-tué-net). Ma seconde flèche s’écrase à plat sur une porte grillagée, derrière laquelle un lapin à robe fauve se blottit au fond de sa cage en attendant que ça passe (le lièvre-de-prairie-est-occis-proprement). Je fais mine de ramasser le dindon et le lièvre après en avoir arraché les flèches avec tout le réalisme dont je suis capable, et je mime leur accrochage à ma ceinture. Puis, je jette un coup d’œil hostile à des poussins qui suivent leur mère en pépiant. Faibles et dépendants, c’est tout ce qu’ils sont !… Et l’autre imbécile, si fière de sa couvée !… Il sera temps de les tuer à la prochaine saison de chasse.


 

 Poussant la grille basse du potager, dont les gonds grincent de toute leur rouille, je débouche enfin sur l’Ouest, le Vrai.

 

 

Comme chaque fois, j’entonne alors à voix contenue la même farouche mélopée, où s’entremêlent les noms de tribu peau-rouge qui me semblent les plus poétiquement barbares :

 

 

« Kiowas, Oglalas ! Navahos ! Arapahos ! Shoshones ! Shawnees ! Arikaras ! Chiricahuas ! Delawares ! Algonquins ! Assiniboins !… »


Je finis crescendo par l’évocation des tribus les plus redoutées :

« Pieds-Noirs ! Comanches !! Apaches Mescaleros !!! »

 

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Aujourd’hui, je suis un jeune brave cherokee, mais il m’arrive d’être sioux dakota, cheyenne, crow, iroquois, mohican, huron, creek, séminole, tête-plate, osage, pueblo, hopi, cree, mohave, natchez… En fin de compte, c’est dans l’inimitié que je suis le plus fidèle. Mes ennemis habituels sont les Pawnees, les Comanches et les Apaches. Ça ne s’explique pas. Je les ai pris en grippe, voilà tout. Les Pawnees me semblent sournois, les Comanches féroces et les Apaches cruels (surtout les Mescaleros). Il faut dire que les illustrés et les westerns ne font la part belle ni aux Peaux-Rouges en général, ni à ces trois peuplades en particulier. Ce ne sont que massacres de braves pionniers, découpages de scalps, enlèvements d’enfants blancs, mutilations, supplices raffinés et autres horreurs qui justifient bien (n’est-ce pas ?) les génocides ayant suivi. J’ai du mérite (ou du vice ?) de m’identifier à une ethnie tant décriée par l’idéologie dominante ! La mode est aux joyeux cow-boys bien propres, aux beaux shérifs, aux gentils chasseurs de bisons et aux courageux officiers de cavalerie. Je n’y sacrifie que du bout des lèvres en enfilant parfois la veste à franges de Kit Carson, cet éclaireur blond qui a, paraît-il, essayé de maintenir un semblant de dialogue entre les conquérants et les condamnés… en somme, une espèce de vivant alibi pour la bonne conscience américaine.

Mon chant de guerre achevé, je continue d’avancer, l’arc tenu à l’horizontale et la flèche pointée en avant. Doté d’une double vue, je perçois le terrain de mes exploits imminents comme étant à la fois la Prairie encore vierge d’hommes blancs et le potager que bichonnent mon père et mon oncle. À droite de l’allée centrale, où je me tiens, des rangées de haricots, de pois, de carottes et de pommes de terre (à Pâques, j’ai fièrement participé avec mes sœurs à une tâche d’utilité publique : le ramassage et l’extermination des doryphores). Il y a aussi quelques pêchers. On ignore ce que peut être un fruit tant qu’on n’a pas mordu dans une pêche blanche bien mûre, gorgée de soleil, cueillie sur l’arbre… comme sur la treille le raisin, qui se chauffe là-bas, contre le mur. À gauche, d’énormes poireaux, des choux, des tomates… L’odeur puissante des tomates occupées à rougir sur pied !… Pauvres citadins !

 

 

Tout cela, c’est bien beau, mais très loin d’être à maturité. Ce que regarde intensément le Cherokee d’occasion, ce qu’il dévore des yeux, ce sont les grosses, les énormes reines-claudes qui le dévisagent là-bas, sur sa gauche, non loin du mur, à côté des cerisiers aigres depuis longtemps pillés. Certes, les vieux sages sont opposés à toute cueillette intempestive ; cependant, ils dorment bien loin d’ici !… Au surplus, la science gastronomique approximative de notre-héros amérindien lui souffle que ce serait là un excellent accompagnement pour le gibier tiré tout à l’heure, et à l’improvisade, il invente une recette traditionnelle cherokee : le râble de lièvre de prairie à la reine-claude, fourré aux sot-l’y-laisse de dindon des Rocheuses. Convaincu par cette référence culturelle, je cours vers l’arbre aux fruits jaune-vert et j’entreprends la dégustation (réelle) des fruits, ainsi que la mastication (fictive) du lièvre et du dindon (crus, évidemment : c’est la guerre). Un peu verts, mais succulents, ces fruits, songe le guerrier. Au huitième, je les trouve pas mauvais, certes, mais très verts quand même.


 

Me rééquipant avec soin, j’endosse à nouveau le côté héroïque de mon personnage. L’objectif est le gros noyer incliné qui tente de se mirer dans le puits (en réalité, un réservoir d’eau muni d’une pompe à bras en fonte). Je sais en effet qu’au pied de cet arbre majestueux doit avoir lieu le conseil des chefs de guerre pawnees et comanches ligués contre le peuple cherokee, et c’est là que je dois entrer en action. L’arc à la main gauche, je me courbe et progresse en biais pour aller me poster derrière le premier cerisier, où je juge opportun de haleter avec conviction (la chaleur m’y aide beaucoup). Puis, je m’élance furtivement vers le second cerisier et me plaque contre son écorce. Nos ennemis sont là, je les entends. Ils parlent comanche, car seuls les Pawnees (ces coyotes galeux) peuvent manier leur propre langue, trop gutturale pour les autres humains. Je n’aurai aucune pitié, car il y va du sort des miens. Je me couche dans les hautes herbes et avance en rampant. Des voix semblent s’approcher. Aussitôt, je m’immobilise, je deviens pierre. Les voix s’éloignent enfin. Je respire… mais c’est pour m’apercevoir, horrifié, que mon bras grouille de taches foncées. Je me lève d’un bond. Je m’étais arrêté en plein sur une fourmilière et j’ai tout le torse et le bras droit couverts d’insectes noirs à gros abdomen. Criant de peur et de dégoût, je m’éloigne à toute vitesse de cet endroit en me frottant vigoureusement la poitrine et le bras. Quand la dernière fourmi est tombée, je me rappelle qui je suis censé être et ce que je dois faire. Un peu gêné de mon manque de sang-froid, je rajuste les plumes de corbeau dans mon serre-tête. Le brave guerrier cherokee reprend le contrôle de mes nerfs, se plaque au sol à nouveau (non sans avoir bien regardé sous lui) et reprend sa reptation en décrivant un large demi-cercle qui va m’amener derrière le noyer. Là, je me redresse lentement, dans un silence qui fait honneur à la tradition indienne. Le cœur me cogne les côtes, et ce n’est pas feint : il fait vraiment très chaud, et je vis bel et bien l’action. De ce côté-ci de l’arbre, car le guerrier a de la chance (et ma mémoire est bonne), une branche maîtresse se sépare du tronc à un mètre du sol, ce qui ne manque pas d’en faciliter l’escalade. L’arc en bandoulière, je m’élève doucement de branche en branche. Le noyer n’est pas un arbre très touffu, et à travers le feuillage de celui-ci, j’aperçois en bas, très loin, six de ces salopards qui palabrent en se passant et repassant le calumet de la paix. Il y a là trois Pawnees et trois Comanches. Impossible de les confondre : à la différence des premiers, qui se rasent les cheveux pour avoir l’air plus redoutable, les seconds arborent deux tresses et une sorte de chignon emplumé destinés… à effrayer l’ennemi. L’air sardonique, je lâche à voix basse « Profitez bien de l’herbe à rêves, sales vautours pelés ! Je vais vous en faire passer le goût pour toujours ! ».

 Une nuit noire vient de tomber (oui, je sais, on est au début de l’après-midi, mais c’est toujours plus dramatique, un feu de camp, la nuit. Et puis, je suis seul contre six, et comme la prudence s’impose, en plus de la surprise, il me faut l’obscurité, puisque mon scénario dit que c’est moi qui gagne à la fin).

 

 

Toujours en silence, je prends mon arc en main et sors du carquois six flèches que je pose à côté de moi, sur un aplat de la plus haute branche. J’en ajuste une à la corde de l’arc et je vise en premier le plus dangereux de mes ennemis : Blaireau Haineux, grand chef comanche redouté dans tous les tipis à l’est des Rocheuses. Ma flèche fuse avec précision entre les feuilles et transperce le cou de sa cible, qui s’affaisse lentement de côté sans un cri. Profitant de la discrétion inespérée de ce premier trépas, j’expédie aussitôt une flèche dans le maigre dos de Belette Rouge, l’immonde sorcier pawnee, qui s’abat en avant, la tête dans le feu, non sans avoir poussé un hurlement rauque et bref. C’est ce serpent venimeux (je le sais) qui a été à l’origine de tous nos ennuis. Tirés en sursaut de leur stupeur tabagique, les quatre autres se lèvent d’un bond… pas assez vite pour l’un d’eux, Crapaud Têtu, gros Pawnee couvert de pustules, que je cloue au sol d’une flèche en plein cœur. Les trois restants s’avisent enfin que la mort vient de l’arbre, mais j’ai le temps d’en ajuster encore un, dans l’œil droit. Ce devait être Crotale Bavard, le sorcier comanche tortionnaire. J’estime qu’il est temps de changer de poste et je ramasse mes flèches inutilisées. Tandis que les deux survivants crient pour surmonter la peur et que leurs flèches transpercent le feuillage là où je me tenais un demi-battement de cœur auparavant, je redescends par le même chemin avec la souple prestesse de mon totem et me retrouve à terre, masqué par le tronc d’arbre. Je pose arc et flèches, puis rampe vers la gauche et, saisissant mon tomahawk, l’envoie d’une main sûre s’enfoncer avec un chtok caractéristique dans le crâne du guerrier comanche Aigle Fou, qui s’effondre en arrière, stupéfait, cramponné à son arc. Hahahahaha ! Le dernier n’est autre que l’abominable chef des Pawnees, être crasseux et retors qui, avec la complicité active de son sorcier, projetait depuis longtemps de s’emparer de nos terrains de chasse après nous avoir exterminés. Dans l’obscurité, je l’apostrophe d’une voix terrible :


 

« Œil-de-Taupe, larve fétide !! Tâche de défendre ta misérable peau comme un vrai guerrier si tu en es capable et si tu veux paraître sans ramper devant le Grand Esprit, car ton heure est venue, fiente de rat !! »


L’interpellé se retourne brusquement pour me faire face. Ses traits, creusés par la lumière du feu, se décomposent de terreur et de rage mêlées.

« Où es-tu, maudit chien de Cherokee ? Viens dans la lumière pour que je puisse voir ta traîtrise !! »

 

 

« Traître toi-même !! » clamé-je en m’approchant du feu, car je commence à être à court de dialogue pittoresque.


 

Comme je m’y attendais, une flèche vibre alors dans ma direction. Je me jette de côté, mais ne peux l’empêcher de m’entamer la peau du bras au passage. Grimace virile et fugitive à dents découvertes. Ce n’est rien. C’est juste une de ces blessures à la fois glorieuses, bénignes et honorablement placées qui sont le juste apanage de tout héros et lui donnent droit ensuite aux soins empressés de l’héroïne. Je saurai me le rappeler en temps utile.

 

 

Sans lui laisser le loisir de réarmer, je me précipite sur lui, poignard levé. Il se jette de côté tout en dégainant son couteau et en lâchant son arc et me fait un croc-en-jambe qui m’expédie à terre. Tandis que je roule sur le dos, il bondit pour me plaquer au sol et m’égorger à son aise, mais je roule sur le ventre, et il s’écrase dans l’herbe. Alors, je bascule à nouveau sur la hanche et, de toutes mes forces, lui plante mon poignard jusqu’à la garde entre les omoplates. Un gargouillis étranglé s’échappe de ses lèvres ouvertes pour un ultime cri de haine. Il vomit un sang noir, et ses yeux demeurent écarquillés cependant qu’un long frisson lui parcourt les jambes.

 

 

C’est fini.

Je suis vainqueur.

 

 

Moi, Écureuil Agile, à ma première mission, j’ai tué seul six ennemis redoutables, dont les deux chefs et les deux sorciers qui avaient juré la perte du peuple cherokee ! Ivre de joie meurtrière, j’exécute alors une danse de triomphe autour de mes victimes. Puis, je me mets en devoir de découper les scalps des Comanches afin de les attacher à ma ceinture (pour les Pawnees, on se contentera des oreilles). Je ramasse les coiffures en plumes d’aigle des deux chefs, mais dédaigne les cornes de bison et les bois de cerf des sorciers : trop mités, décidément, et indignes de moi !

 

 

Sortant de mes transes guerrières, je reprends peu à peu conscience de l’endroit où je suis et du temps qu’il fait. La sueur me baigne tout entier. M’approchant du réservoir, je pompe un peu d’eau pour me rafraîchir au moins le visage et en ôter le noir de charbon. Puis, je m’assieds au pied de mon complice, le noyer, dont les effluves stimulants me titillent agréablement l’odorat. Il faut que je laisse sécher ma transpiration avant de rentrer, sinon gare à moi, qui étais censé faire la sieste !

 

 

Au-dessus de ma tête, une tribu de mésanges à longue queue se livre à des acrobaties cocasses entrecoupées de doux pépiements. Un gros hanneton poussif et ensommeillé passe en vrombissant. L’air est électrisé de toutes sortes de bestioles qui font le bonheur des hirondelles de la ferme voisine.

Un bruit soudain et incongru vient me troubler dans la contemplation de ces scènes pastorales. Je crains fort qu’il ne soit issu de mes entrailles, que je sens inquiètes… Nom d’un chien, les reines-claudes ! Ce sont les reines-claudes que cet idiot de sauvage ma forcé à engloutir ! Bon, alors, surtout, ne pas courir !… Rassemblant mon barda et ma dignité, évitant les secousses, je me dirige vers la maison en serrant les dents… notamment, non sans essayer de penser à autre chose. Cela ne me réussit pas trop mal jusqu’à la hauteur du garage où, cédant à l’urgence, je ne vois plus d’autre solution que de presser le pas, puis de courir éperdument vers la délivrance… Mince alors ! Un guerrier cherokee venant de sauver son peuple aurait mérité un retour moins piteux dans son wigwam !… Peu importe ! Je tournerai cette scène une autre fois. Pour l’instant, CHAUD DEVANT !!

 

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***

 

 

 

 

 

 

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